«Il faut que tout change pour que tout redevienne comme avant.» Giussepe Tomasi di Lampedusa (Il Gattopardo)
Cette célèbre affirmation du neveu du Prince Salina, Tancredi dans «le Guépard»,suggère que la révolution correspondrait à une rotation, comme lors de la révolution de la Terre autour du Soleil, qui revient toujours à son point de départ. En clair, malgré les convulsions de l'année 2011, rien de nouveau sous le soleil, le «Printemps arabe»: qui, pour une grande part, a été fabriqué dans les officines occidentales, a d'une certaine façon tenu ses promesses. Les nouveaux pouvoirs arabes sont plus que jamais inféodés à l'Occident qui les a adoubés au même titre que les tyrans d'avant.
Chronologie de la débâcle des dirigeants arabes
2011 fut une année qui ne fut pas un long fleuve tranquille. Les pays arabes connurent des secousses. L'histoire pourrait-on dire, commence à Sumer. En l'occurrence, à Sidi Bouzid par l'immolation de Mohamed Bouazizi provoquant le début d'une vague de manifestations contre le pouvoir. Les pouvoirs occidentaux, à l'instar de la France, ont voulu conforter Ben Ali-en lui envoyant des munitions et en proposant de l'aider à mater la jacquerie- puis, le mouvement prenant de l'ampleur, les Occidentaux changent de cheval, comme ils l'on fait en lâchant le shah d'Iran en 1979, le 13 janvier 2011, Zine El Abidine Ben Ali s'enfuit de Tunisie pour se réfugier en Arabie Saoudite. Le 1er février, moins d'une semaine après la première manifestation, place Tahrir, au Caire, réclamant son départ, Hosni Moubarak, 83 ans, annonce qu'il ne briguera pas de sixième mandat. Les manifestations quotidiennes et la prise de distance progressive de l'armée auront raison de sa détermination. Il démissionne le 11 février, la Constitution est suspendue, le Parlement est dissous.
Oussama Ben Laden aura moins de chance. Le 2 mai, il est tué au Pakistan par les forces spéciales américaines qui prennent d'assaut le complexe d'Abbotabad où il s'était réfugié. Six mois après le soulèvement parti de Benghazi, dans l'est du pays, le 15 février, et avec l'aide des forces de l'Otan, les insurgés libyens atteignent Tripoli et font chuter le régime. Les combats se déplacent vers Syrte, sa ville natale, où le Guide de la révolution meurt lynché le 20 octobre, peu après sa capture. Au Yémen, Ali Abdallah Salah est attaqué puis après trois mois de soins en Arabie Saoudite a du céder le pouvoir. A Bahrein, les manifestants furent durement réprimés par le pouvoir aidé par l'Arabie Saoudite venue prêter main forte à l'émir. La presse occidentale est muette et les pouvoirs occidentaux regardent ailleurs,
Bachar el Assad est en train de vivre un scénario à la libyenne. Enfin, tous les gouvernements du Maroc, Tunisie, Lybie et Egypte ont vu le triomphe des partis religieux qualifiés, pour les besoins de la cause, par l'Occident de modérés
Dans la même charrette de la protection des intérêts de l'Empire et de ses vassaux, Laurent Gbagbo- ne pouvant plus servir- est arrêté le 11 avril à Abidjan, laissant la place au nouveau adoubé. Il sera transféré vers le CPI le 30 novembre pour être jugé.
Les désastres planétaires
L'année fut aussi horrible riche en catastrophes. Le 13 mars, un tsunami dévaste Fukushima détruisant du même coup les centrales nucléaires qui deviennent incontrôlables jetant dans l'atmosphère des particules radioactives; fin décembre la réaction est sous contrôle, les autorités parlent de quarante ans pour démonter les réacteurs. La région de Fukushima est devenue stérile. Contre toute attente, l'AIE annonce un renforcement du nucléaire à l'horizon 2030. L'échec de Durban concernant les changements climatiques laisse la porte ouverte à l'aventure. Plus rien n'est contraignant, le protocole de Kyoto est mort et un pays comme le Canada annonce qu'il sort du protocole. Il ne respectera plus son quota de pollution.
Par ailleurs, des inondations et des tempêtes sans précédent ont frappé l'Asie, l'Europe, l'Océanie. Selon les spécialistes, il faut s'habituer à ces phénomènes météorologiques violents. Plus de mille personnes ont été victimes du typhon Washi aux Philippines. Des vagues de froid et des chutes de neige en Europe suivi d'un brusque réchauffement ont entraîné des inondations dans plusieurs régions. «L'inondation en Australie est une première dans l'histoire de la météorologie australienne», a déclaré le chef du département de la climatologie de l'Institut de géographie de l'Académie des sciences de Russie Andreï Chmakine. «L'homme ne saurait présager ni prévenir les précipitations dans tel ou tel endroit», considère le climatologue. Il est temps de s'habituer aux anomalies naturelles. «Les catastrophes naturelles ont été plus nombreuses qu'en 2010. Nous vivons dans un climat extrême qui change brusquement. Les phénomènes météorologiques enregistrés en 2011 le confirment».(1)
2011 année de l'indignation?
Les journaux occidentaux, notamment français, arriment le ras-le-bol planétaire à un petit opuscule écrit par Stephane Hessel , ancien résidtant frnaçais , qui a particpé à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homem aux Nations Unis . Cet opuscule a servi de catalyseur à un malaise préxistant et qui ne demandait qu’à s’exorimer : «Les internautes du Monde.fr ont désigné comme personnalité de l'année cet infatigable défenseur des droits de l'homme, âgé de 94 ans. Pas étonnant, quand on sait que son livret judicieusement intitulé «Indignez-vous!», continue de provoquer un tourbillon planétaire. C'est donc lui! Le gentleman indigné, dont l'espérance est contagieuse. Une quarantaine de pays ont désormais accès au petit livre magique. L'Espagne lui a fait un triomphe. L'Allemagne aussi, qui en est à sa seizième réimpression. Les Etats-Unis - où les indignés de Wall Street brandissaient l'ouvrage - en sont à une cinquième réimpression. (...) Et ravi que ce joli mot d'indigné soit désormais repris par les jeunesses du monde entier pour marquer un sursaut, un élan, un refus de la fatalité, une prise de conscience collective.» (2)
Il est vrai que le désordre étant planétaire, les peuples se révoltent, certains en priorité pour la liberté, d'autres pour les conditions de vie devenues de plus en plus difficiles. «En 2011, lit-on dans le journal Le Monde, le peuple a fait son grand retour sur la scène de l'actualité, renversant des dictateurs, dénonçant les marchés financiers. Au sein de ces mouvements, des inconnus qui souvent s'engageaient, pour la première fois... (...) Ils ou elles sont égyptiens, russes, japonais, tunisiens, syriens, américains, israéliens, espagnols, norvégiens. Pourtant, ces inconnus ont, chacun à leur manière, bouleversé, en 2011, le cours de l'Histoire. Sans eux, pas de «Printemps arabe», de mouvement des «indignés», de mouvement organisé de solidarité lors de la catastrophe de Fukushima.» (3)
«En 2011, bon nombre de puissants de ce monde ont chuté et une foule d'anonymes, de Tunis à Tripoli, de la place Tahrir à la Puerta del Sol, en passant par Aden, Manhattan ou Tel-Aviv, a surgi d'un peu partout. Des jeunes, de 20 à 30 ans, souvent diplômés, férus de nouvelles technologies et déçus par un monde en pleine dislocation économique et sociale, que les systèmes politiques n'arrivent plus à contrôler. En 2011, d'un seul clic, la génération Facebook est passée du virtuel au réel, de l'indignation à l'engagement, le jour dans la rue, la nuit devant l'écran... Le 15 mai en Espagne, «los indignados» envahissent la Puerta del Sol. Ils disent: «Nous n'avons rien inventé. Nos pères sont les manifestants du «Printemps arabe». Nous ne faisons que reproduire leur combat car nous luttons aussi contre une dictature, celle des marchés.» (...) Et le 17 septembre, New York. Des dizaines de milliers de personnes veulent occuper Wall Street et se définissent comme «les 99%», par opposition au 1% des Américains qui totalisent à eux seuls 42% de la richesse du pays.»(...) (3)
Dans une contribution d'Euractiv, nous découvrons jutement le nouveau concept: «L'année horrible»: «Il y a un an, lit-on, les analystes qualifiaient l'année 2010 d'«annus horribilis» pour l'Europe. (...) C'est bien entendu la crise de la dette qui a fait les gros titres. Les décideurs politiques commencent à craindre un démantèlement de la zone euro et de l'UE, ils parlent de la «pire époque depuis la Seconde Guerre mondiale», alors que le fossé entre les Européens se creuse et que le populisme foisonne. Les pays de l'UE donnent l'impression d'une suite de dominos qui s'effondre au fil des chocs économiques: après la Grèce, la Pologne et l'Irlande en 2010, la pression s'est intensifiée sur l'Espagne et l'Italie. (..) Les Grecs, outrés par les mesures d'austérité prises par leur gouvernement, sont descendus dans les rues ».(4)
« Les «Indignés» ont manifesté contre le chômage et le capitalisme en Espagne. (...) Après la promesse d'un Printemps arabe, est arrivé l'automne qui a été synonyme de désenchantement pour l'Union. Les élections en Tunisie ont propulsé un parti islamiste au pouvoir. Les élections égyptiennes ont eu lieu dans la violence. En Libye, l'Otan a participé une guerre menée par la Grande-Bretagne et la France sous prétexte de mettre en place une zone d'exclusion aérienne. Le leader libyen, Kadhafi, a été tué dans des circonstances plus que suspectes. (...) Herman Van Rompuy, a écrit sur Facebook: 2011 pouvait ressembler à une «annus horribilis», mais qu'elle se révèlerait une «annus mirabilis». (4)
Indignés contre les pouvoirs de l'argent, unissez-vous!
Robert Fisk s'en prend aux journalistes coupables, s'en prend, et violemment, aux banquiers et aux agences de notation qui agissent en propriétaires des pays et des peuples, aidés par des gouvernements veules et des journalistes soumis. J'ai le sentiment, écrit-il, que le journalisme censé traiter de l'effondrement du capitalisme a atteint de nouveaux tréfonds que même le Moyen-Orient ne peut surpasser en termes de soumission sans frein à ces institutions et à ces «spécialistes» de Harvard qui ont justement contribué à déclencher tout ce désastre criminel. Commençons par le «Printemps arabe» - en soi une distorsion verbale grotesque du formidable éveil arabo-musulman qui ébranle le Moyen-Orient - et les parallèles minables avec les mouvements de contestation sociale dans les capitales occidentales. Nous avons été abreuvés d'articles sur comment les pauvres ou les défavorisés de l'Ouest auraient «puisé» dans le manuel du Printemps arabe, comment les manifestants aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Grèce auraient été «inspirés» par les gigantesques manifestations qui ont fait tomber les régimes en Egypte, en Tunisie... C'est idiot ». (5)
Pour lui, il n'y a pas à faire de comparaison: «Ce qui a poussé les Arabes, écrit-il, à descendre par dizaines de milliers, puis par millions dans les rues des capitales du Moyen-Orient, c'est une dignité revendiquée, ainsi que le refus d'admettre que les dictateurs locaux et leurs familles étaient de fait les propriétaires de leurs pays. Les Moubarak, Ben Ali et autres Kadhafi, les rois et émirs du Golfe (et de Jordanie) et les Assad s'imaginaient tous qu'ils jouissaient de l'usufruit de l'ensemble de leurs nations. L'Egypte appartenait à Moubarak Inc., la Tunisie à Ben Ali & Cie (et à la famille Traboulsi), la Libye à Kadhafi & Fils, et ainsi de suite. Les martyrs arabes contre la dictature sont morts pour prouver que ces pays appartenaient à leurs peuples. (...) Et c'est là que réside le vrai parallèle avec l'Occident. Les mouvements de protestation visent effectivement le monde des affaires - une cause tout à fait juste - et les «gouvernements»(5).
« En revanche poursuit Robert Fisk , ce qu'ils ont découvert, un peu tard, certes, c'est que depuis des décennies, ils ont foi dans une démocratie frauduleuse: ils votent sagement pour des partis politiques, qui confient ensuite leur mandat démocratique et le pouvoir du peuple aux banques, aux cambistes en produits dérivés et aux agences de notation». Concluant avec lucidité, Robert Fisk désigne les dictateurs en Occident: «Les banques et les agences de notation sont devenues les dictateurs de l'Ouest. (...) Goldman Sachs et la Royal Bank of Scotland sont désormais les Moubarak et les Ben Ali des Etats-Unis et du Royaume-Uni, chacun engloutissant la richesse du peuple sous forme de primes et de bonus bidons offerts à leurs patrons sans pitié, animés d'une cupidité infiniment supérieure à ce que pouvaient imaginer leurs frères en dictature arabes, pourtant rapaces. (...)Cela me rappelle tellement la façon tout aussi veule qu'ont tant de journalistes américains de couvrir les événements au Moyen-Orient, évitant bizarrement toute critique directe d'Israël et expliquant, aiguillonnés par une armée de lobbyistes pro-Likoud, pourquoi la «médiation» américaine dans le conflit israélo-palestinien est digne de confiance, pourquoi les gentils sont des «modérés» les méchants des «terroristes»(.) Nous, en Occident - nos gouvernements -, avons créé nos dictateurs. Mais contrairement aux Arabes, nous ne pouvons pas y toucher.»(5)
Et en Algérie où en sommes-nous?
Robert Fisk pense que le Monde arabe a changé, Nous pensons qu’il n'en est rien! Tout est comme avant, les chevaux ont changé de cavaliers mais celui qui règle les courses est toujours l'Occident. Cela nous donne l'opportunité de parler de l'Algérie qui est à la veille du 50e anniversaire. Beaucoup ont cru que la contagion arabe allait atteindre l'Algérie. Il n'en fut rien, après une jaquerie pour les matière premières vite éteinte avec quelques barils de pétrole, tout redevient comme avant. Le peuple las et «ayant eu son printemps en 88,» a payé sa dîme, 200.000 morts plus tard. Pendant que tous les peuples arabes contemplaient ce qui se passait dans le laboratoire de l'islamisme en Algérie. Ceci étant dit ce sont de fausses certitudes! Il est vrai que les Etats-Unis ont définitivement décidé que notre pays est sur la «bonne voie». Il n'est donc plus question de nous prodiguer un «printemps».
Ce qui restera en 2011 en Algérie après que les partis politiques aient torpillé les fondements des réformes c'est le travail du Cnes dont le président a sillonné le pays prodiguant çà et là, la bonne parole, à telle enseigne que l'on croyait à une diversion du pouvoir pour gagner du temps. Et pourtant, c'est un véritable programme de gouvernement auquel aboutit cet audit du peuple d'en bas, de ses espoirs dans cette feuille de route qui contient objectivement des avancées majeures si elles venaient à être mises en oeuvre; la e-adminsitration, une nouvelle vision de l'éducation et un plaidoyer pour «une utilisation durable des ressources énergétiques».
Le temps presse, il nous est compté, il faut mettre à profit ce sursis pour mettre en place sans délai les réformes en tournant le dos aux légitimités du passé. Ce n'est certainement pas l'agitation frénétique des partis qui fera émerger des députés fascinés par l'avenir. 2012, année du cinquantenaire, sera décisive pour l'Algérie et plus largement pour la paix du monde.
Professeur Chems Eddine Chitour