LES HUIT RAISONS POUR LESQUELLES LES
JEUNES AUX ETATS-UNIS NE SE REVOLTENT PAS
Psychiatrie
« Aujourd’hui, la fonction de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse menace de devenir l’instrument de la manipulation des êtres humains ».
Les huit raisons pour lesquelles les jeunes aux Etats-Unis ne se révoltent pas: comment les Etats-Unis ont annihilé tout esprit de résistance...
Stories by Bruce E. Levine
Ce sont les jeunes qui ont toujours dynamisé les mouvements démocratiques. et donc, c’est un sacré exploit qu’ont réalisé les classes dirigeantes en créant des structures sociétales qui ont assujetti les jeunes en Amérique et brisé leur esprit de résistance à la domination.
Les jeunes aux Etats-Unis –plus encore que les autres générations – semblent avoir intégré l’idée que la « corporatocratie » peut les arnaquer complètement et qu’ils sont impuissants à réagir face à cela. Un sondage Gallup réalisé en 2010 demandait: « pensez-vous que le système de Sécurité Sociale pourra vous verser une pension quand vous partirez à la retraite? Parmi les 18-34 ans, 76 % ont répondu non. Pourtant, bien qu’ils pensent qu’ils n’auront pas accès à la Sécurité Sociale, peu d’entre eux ont manifesté pour que cette institution soit renflouée en imposant les riches plus équitablement; la plupart semblent résignés à se voir prélever davantage de cotisations sociales, même s’ils pensent qu’ils n’en bénéficieront pas.
Comment donc la société a-t-elle réduit la jeunesse américaine au silence?
1. Les remboursements des prêts étudiants.
Un énorme endettement – et l’angoisse qu’il engendre – est un « facteur de paix ».
Il n’y avait pas de frais de scolarité à payer à l’Université publique de New York quand je faisais mes études dans les années 1970, une époque où les frais de scolarité étaient si abordables dans de nombreuses universités publiques américaines qu’il était facile d’obtenir une licence, et même des grades universitaires plus élevés, sans avoir à accumuler les dettes pour rembourser des prêts-étudiants.
Alors que cette époque est révolue aux Etats-Unis, les universités publiques sont toujours gratuites dans le monde arabe, et sont soit gratuites, soit demandent une participation minime dans de nombreux pays du monde entier.
Les millions de jeunes Iraniens qui risquaient de se faire tirer dessus en manifestant contre les résultats des élections présidentielles de 2009, les millions de jeunes Égyptiens qui risquaient leur vie pour exiger le départ de Moubarak, et les millions de jeunes Américains qui manifestaient contre la guerre du Vietnam ont tous en commun qu’ils n’avaient pas à rembourser de prêt étudiant.
Actuellement, aux Etats-Unis, deux tiers des étudiants en dernière année de licence (quatrième année, NDT) ont un crédit à rembourser. Alors que l’endettement des étudiants s’élève à près de 25000 dollars en moyenne, de plus en plus d’étudiants licenciés me disent qui auront à rembourser près de 100.000 dollars.
A une époque de la vie où il serait plus facile de contester l’autorité parce qu’on n’a pas de charge de famille, beaucoup de jeunes gens ne s’inquiètent que du coût que représenterait le fait de s’en prendre au pouvoir, de perdre son emploi et de se retrouver dans l’incapacité de rembourser une dette en constante augmentation.
2. Traiter la rébellion comme une psychopathologie
En 1955, Erich Fromm, psychanalyste de gauche très respecté à l’époque, et qui militait contre l’autoritarisme, écrivait:
« Aujourd’hui, la fonction de la psychiatrie, de la psychologie et de la psychanalyse menace de devenir l’instrument de la manipulation des êtres humains ».
Fromm est mort en 1980, l’année même où une Amérique de plus en plus autoritaire élisait Ronald Reagan à la tête de l’Etat, et où une « Association Américaine de Psychiatrie » de plus en plus autoritaire ajoutait à sa bible de classifications des diagnostics (appelée alors le DSM-III) les troubles graves du comportement chez l’enfant et l’adolescent, comme le « trouble oppositionnel avec provocation » de plus en plus en vogue.
Parmi les symptômes officiels du « trouble oppositionnel avec provocation » on trouve: « souvent contestataire ou refuse d’obéir aux ordres ou aux règles donnés par des adultes », « souvent en conflit avec les adultes » et « agit souvent dans l’intention d’exaspérer les autres ».
De nombreux contestataires connus en Amérique, parmi lesquels Saul Alinsky (1909–1972), l’ »organizer » légendaire , auteur de « Reveille for Radicals » et « Rules for Radicals », seraient sans aucun doute diagnostiqués comme étant atteints de trouble oppositionnel avec provocation et d’autres troubles du comportement.
Evoquant son enfance, Alinsky raconte:
« Il ne m’était jamais venu à l’idée de marcher sur une pelouse, jusqu’à ce qu’un jour, je tombe sur un panneau: ‘pelouse interdite’. Par la suite, quand j’en voyais un, je piétinais la pelouse de long en large ».
Des puissants neuroleptiques (comme le Zyprexa et le Risperdal) sont actuellement les médicaments qui réalisent le plus de bénéfices aux Etats-Unis (16 milliards de dollars en 2010). Une des raisons principales, selon le « Journal of the American Medical Association » en 2010, c’est que beaucoup d’enfants qui prennent ces neuroleptiques ne souffrent pas de trouble oppositionnel avec provocation ou d’autres troubles du comportement (ce qui est particulièrement vrai pour les patients en pédiatrie assurés par Medicaid).
3. Des écoles qui apprennent l’obéissance, pas la démocratie
Lors de la remise du prix du Professeur de l’Année décerné par la ville de New York le 31 janvier 1990, John Taylor Gatto choquait une grande partie de l’assistance en déclarant:
« La vérité, c’est que les écoles n’enseignent pas grand chose en réalité, si ce n’est à obéir aux ordres. C’est un grand mystère pour moi parce que des milliers de personnes dévouées et attentionnées travaillent dans les écoles en tant qu’enseignants, assistants et administrateurs mais la logique abstraite de l’institution neutralise leurs contributions individuelles ».
Il y a une génération de ça, la question de l’éducation obligatoire en tant qu’instrument servant à créer une société autoritaire faisait l’objet de nombreux débats, mais, alors que la situation est bien pire aujourd’hui, on n’en entend pratiquement plus jamais parler.
La nature de la plupart des classes, quelle que soit la discipline enseignée, prépare les élèves à être passifs et à être dirigés par d’autres, à obéir aux ordres, à prendre au sérieux les récompenses et les sanctions données par les autorités, à faire semblant de s’intéresser à des sujets qui ne les intéressent pas, et à se convaincre qu’ils sont impuissants à changer cet état de fait.
Un professeur peut faire un cours sur la démocratie, mais les écoles sont essentiellement des lieux antidémocratiques, et donc, ce n’est pas la démocratie qui est enseignée aux élèves.
Jonathan Kozol, dans ‘The Night Is Dark and I Am Far from Home », parle de la façon dont l’école nous retient de nous livrer à des actions courageuses.
Kozol explique comment les écoles nous enseignent une sorte de « sollicitude inerte » où le fait de se sentir concerné – en soi et de soi-même, et sans risquer les conséquences d’une véritable action – est considéré comme « éthique ». L’école nous apprend que nous sommes « moraux et mûrs » si nous affirmons nos préoccupations poliment, mais la nature de l’école – son exigence d’obéissance – nous apprend à ne pas chercher à provoquer des frictions.
4 – Les réformes éducatives « No child left behind » et » Race to the Top »
La corporatocratie a imaginé un moyen de rendre nos écoles déjà autoritaires encore plus autoritaires.
Les politiques à la fois des Démocrates et des Républicains ont engendré les guerres en Afghanistan et en Irak, l’ALENA, le PATRIOT Act, la guerre contre la drogue, le sauvetage de Wall Street, et les actions éducatives comme les programmes « No child left behind » (« aucun enfant laissé pour compte » – gouv. Bush, NDT) et « Race to the Top » (la course au sommet – gouv. Obama, NDT).
Ces politiques consistent essentiellement à soumettre les élèves à la tyrannie de tests normalisés, générateurs de crainte, ce qui est, pour une société démocratique, antinomique avec l’éducation.
L’angoisse pousse les élèves et les professeurs à ne plus travailler que pour répondre aux exigences de ceux qui élaborent les sujets des tests. Elle annihile la curiosité, l’esprit critique, la remise en cause de l’autorité et la contestation et la résistance à l’autorité illégitime.
Dans une société plus démocratique et moins autoritaire, on mesurerait l’efficacité d’un enseignant non pas à des résultats de tests imposés par la corporatocracy, mais en demandant aux élèves, aux parents et à toute la communauté si le professeur incite les élèves à être plus curieux, à lire davantage, à se cultiver indépendamment de l’école, à chercher à former son esprit critique, à remettre en cause les autorités, et à contester l’autorité illégitime.
5. Montrer du doigt les jeunes qui prennent au sérieux l’éducation – mais pas les études.
Une enquête réalisée en 2006 aux Etats-Unis montre que 40% des enfants entre le CP et le CE2 lisent tous les jours, mais quand ils arrivent en CM1, ce pourcentage tombe à 29 %. Malgré l’effet anti-éducatif de l’école, les parents et les enfants sont de plus incités par la propagande à croire que ne pas aimer l’école, c’est ne pas aimer apprendre.
Cela n’a pas toujours été le cas aux Etats-Unis. On se souvient de la réflexion de Mark Twain: « je ne permets pas à mes études de nuire à mon éducation ». Vers la fin de la vie de Twain, en 1900, seulement 6 % des Américains avaient un diplôme de fin d’études secondaires.
Actuellement, environ 85 % des Américains ont un diplôme de fin d’études secondaires, mais ce n’est encore pas assez pour Barack Obama qui a déclaré en 2009:
« Et abandonner le lycée avant la fin des études n’est plus possible. Ce n’est pas seulement faillir à soi-même, c’est faillir à son pays ».
Mais, plus les Américains font d’études, moins ils sont conscients de la lutte des classes qui a lieu actuellement, et plus ils sont incapables de contester la classe dirigeante.
Dans les années 1880 et 1890, les agriculteurs américains qui avaient fait peu ou pas du tout d’études avaient créé un mouvement populiste qui avait mis en place la plus importante coopérative de travailleurs en Amérique, avaient formé le Parti Populaire qui avait recueilli 8 % des voix aux élections présidentielles de 1892, conçu un projet de « sous-trésorerie » (qui, s’il avait été appliqué aurait permis aux agriculteurs de bénéficier de meilleurs crédits et aurait cassé le pouvoir des grandes banques), envoyé 40.000 conférenciers dans toute l’Amérique pour l’expliquer, et avaient développé toutes sortes d’idées politiques, de stratégies élaborées, que la population instruite d’aujourd’hui est incapable de concevoir.
Aujourd’hui, les Américains sans diplômes universitaires sont constamment montrés du doigt et qualifiés de ‘losers ».
Pourtant, Gore Vidal et George Carlin, deux des détracteurs les plus intelligents et cohérents de la corporatocratie en Amérique, ne sont jamais allés à l’université, et Carlin a abandonné les études en classe de 3eme.
6. La banalisation de la Surveillance.
La crainte d’être surveillée rend la population plus facile à maîtriser. On a beaucoup entendu parler de la National Security Agency (NSA) qui a intercepté les mails et écouté les conversations téléphoniques de citoyens américains, et alors que les dispositifs de contrôle sont de plus en plus fréquents en entreprise, les jeunes acceptent de plus en plus d’être surveillés par la corporatocratie parce que, y ayant été habitués dès l’enfance, la surveillance est, pour eux, une pratique normale.
Leurs parents consultent systématiquement Internet pour connaître les notes des tests de leurs enfants et savoir quelles tâches ont été accomplies, et, tout comme les patrons, ils surveillent les ordinateurs de leurs enfants et leurs pages Facebook. Certains parents utilisent le GPS des téléphones portables de leurs enfants pour les localiser et d’autres parents ont installé des caméras de surveillance chez eux. Je rencontre de plus en plus de jeunes gens qui n’osent pas organiser une fête quand leurs parents sont partis et, donc, comment pourraient-ils oser se lancer dans l’organisation d’un mouvement démocratique sous l’œil des autorités?
7. La télévision
En 2009, la Nielsen Company disait qu’il n’y a jamais eu autant d’Américains devant un écran qu’actuellement, si on compte les trois écrans »: le poste de télé, l’écran de l’ordinateur et celui du téléphone. Les enfants sont en moyenne huit heures par jour devant un écran, que ce soit pour la télévision, les jeux vidéo, les films, Internet, les téléphones portables, les iPods, et d’autres appareils (en dehors de l’usage qu’il en est fait pour l’école).
De nombreux progressistes s’inquiètent de l’énorme contrôle sur le contenu exercé par les medias de masse, mais le simple fait de regarder la TV— quel que soit le programme – est le facteur de paix fondamental (les prisons privées ont reconnu que fournir des postes de télévisions aux prisonniers peut être une méthode plus économique pour les faire tenir tranquilles que d’embaucher davantage de gardiens).
Pour une société autoritaire, la télévision est le rêve devenu réalité: les gros capitalistes possèdent pratiquement tout ce que les gens regardent.
Les programmes-télé qui suscitent l’angoisse rendent les gens plus craintifs et plus méfiants vis-à-vis des autres, ce qui est parfait pour une classe dirigeante dont la méthode se résume à « diviser pour régner ». La télévision isole les gens de façon à ce qu’ils ne se rassemblent pas pour organiser la résistance contre les autorités; et quels que soient les programmes, les ondes cérébrales des téléspectateurs sont au ralenti, ce qui les met dans un état proche de l’hypnose, et qui n’est pas propice au développement d’un esprit critique.
Même si les jeux vidéo ne réduisent pas autant leurs adeptes à l’état de zombies que la télévision, ces jeux sont devenus pour beaucoup de garçons et de jeunes hommes leur seule expérience de la puissance, or cette « puissance virtuelle » ne constitue pas une menace pour la classe dirigeante.
8. La religion fondamentaliste et le consumérisme fondamentaliste.
La société américaine offre à la jeunesse le « choix » entre la religion fondamentaliste et le consumérisme fondamentaliste. Toutes les formes de fondamentalisme réduisent notre vision et inhibent notre esprit critique. Alors que certains progressistes se plaisent à appeler la religion fondamentaliste l’ »opium du peuple », ils oublient trop souvent la nature lénifiante de l’autre fondamentalisme majeur aux Etats-Unis.
Le consumérisme fondamentaliste annihile l’autonomie en formant des individus qui se sentent complètement dépendants des autres et qui sont ainsi plus enclins à remettre le pouvoir de décision aux autorités, exactement ce qui ravit les classes dirigeantes.
Un système de consumérisme fondamentaliste légitime la publicité, la propagande et toutes sortes de manipulations, y compris les mensonges; et quand une société légitime les mensonges et le pouvoir de manipuler, elle détruit la capacité de la population à se faire confiance mutuellement et à organiser des mouvements démocratiques. Le consumérisme fondamentaliste favorise l’égocentrisme, qui empêche la solidarité nécessaire pour organiser des mouvements démocratiques.
Ces aspects ne sont pas les seuls de notre société à désarmer la jeunesse américaine et anéantir leur résistance à la domination.
Le complexe industriel agroalimentaire a contribué à créer une épidémie d’obésité infantile, de dépressions, et de passivité.
Le complexe industriel carcéral se charge de discipliner ceux qui sont réfractaires à l’autorité (et, en plus, maintenant à cause de la crainte de se retrouver devant des juges comme les deux de Pennsylvanie qui avaient touché 2,6 millions de dollars de la part des prisons privées pour qu’ils veillent à ce que les mineurs soient condamnés à des peines de prison).
Comme l’a dit Ralph Waldo Emerson: « tout ce qui est en place est à la fois bon et mauvais. Le mal s’attaque à toutes nos institutions de la même façon ».
Psychiatric Drugs and Poor Kids (Les neuroleptiques et les enfants des milieux pauvres. Les enfants qui sont assurés par Medicaid – assurance publique pour les familles pauvres – risquent quatre fois plus de se voir prescrire des neuroleptiques que les enfants assurés par le secteur privé, même s’ils n’ont pas de symptômes psychotiques …).
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Pour ce qui est des dettes étudiantes, l’évolution s’est faite progressivement. Jusqu’à ce que le système soit complètement corrompu, les étudiants qui faisaient des études supérieures avaient la possibilité de trouver un emploi rémunérateur et, donc, de rembourser leur crédit relativement rapidement. Ce qui explique d’une certaine façon leur manque de réaction à l’époque.
Mais, aujourd’hui, les diplômés n’ont plus l’assurance de trouver un emploi à la sortie de l’université (délocalisations, licenciements, crise économique, etc.), et s’ils en trouvent un, ils ne sont pas assurés de le conserver, sans compter que la Sécurité Sociale est de moins en moins à la charge de l’employeur, ce qui signifie qu’il leur faut déduire de leurs salaires les cotisations pour l’assurance maladie ou la retraite.
J’ajouterai aussi que les jeunes des pays occidentaux, et en particulier aux US, sont très cloisonnés, ils ne se rencontrent pas, et leurs aspirations et leurs chances de trouver un emploi sont très dissemblables.